Le 15 juin dernier, les cadres des établissements de l’association Jeanne Garnier se sont retrouvés à Bordeaux pour une journée de rencontre et de formation.
« Auparavant, la question de la fin de vie surgissait ponctuellement dans le débat public. Aujourd’hui, il s’agit d’une actualité constamment tendue. » Tanguy Châtel, sociologue et administrateur de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), a commencé son intervention sur ce constat. Son sujet : Évolution de la loi sur la fin de vie, un jeu à plusieurs bandes ? « Nous avons besoin de nous mettre à jour sur le sujet », témoigne un médecin. « Cela change très vite. » Dans la salle, une trentaine de participants écoutent le conférencier avec attention, n’hésitant pas à prendre la parole pour partager une question ou une expérience. Tous travaillent dans l’un des établissements de l’association Jeanne Garnier.
Tanguy Châtel commence par présenter les différents acteurs qui s’intéressent aux questions liées à la fin de vie en France : politiques, professionnels, institutions, associations… Il montre comment la réflexion s’est infléchie, au fil du temps, pour porter sur un public toujours plus large. Les patients en fin de vie ne sont pas seuls concernés. Les débats publics abordent aussi le cas des maladies chroniques comme le cancer ou la sclérose en plaque, des maladies dites de l’intelligence comme Alzheimer, du vieillissement et de la dépendance, des personnes en état pauci-relationnel, du handicap physique ou mental, etc. « Finalement, ces discussions posent une question fondamentale. Qu’est-ce qu’une vie qui ne vaudrait pas la peine d’être vécue ? » Certains revendiquent ainsi le droit de mourir en cas de maladie psychique ou de fatigue de vivre. D’autres vont jusqu’au suicide assisté. Tanguy Châtel se réfère alors à Robert Badinter : « En 2008, l’ancien Garde des Sceaux affirmait que le suicide n’est pas un droit mais une liberté. Il se trouve hors du champ du droit et ne devrait pas faire l’objet d’une législation (hormis le délit de provocation au suicide). Le droit est fait pour protéger les plus faibles. »
Le propos souligne ensuite les problématiques propres des soignants : « Le corps médical pourrait devenir l’exécuteur des volontés du patient et le malade un prescripteur. Mais la question concerne aussi le corps social ! » Au grand amusement de l’assistance, Tanguy Châtel propose alors la formule des soins palliatifs AAAAA : anticipés, améliorés, amplifiés, accessibles à tous et accompagnés. « C’est un préalable, sinon on fabrique artificiellement des demandes d’euthanasie. » Il alerte aussi les professionnels sur la subjectivité des critères qui permettent d’évaluer la qualité d’une vie : en 2011, une étude a interrogé des patients français atteints du locked-in syndrome. 74% d’entre eux estimaient avoir une bonne qualité de vie. En revanche, quand on demandait l’avis des soignants, deux tiers estimaient que ces patients avaient une mauvaise qualité de vie. Le décalage est éloquent. L’exemple frappe beaucoup.
Un schéma montre enfin comment la France a cherché un équilibre entre une éthique de la vulnérabilité et une éthique de l’autonomie à travers la loi Claeys-Leonetti en 2016, puis le glissement fort de ces dernières années vers l’autonomie. Les soins palliatifs défendent une éthique de la responsabilité, entre les deux. De nombreuses questions suivent la fin de ce tour d’horizon du contexte politico-social. Elles abordent par exemple le cas de la Belgique ou bien encore la formation des étudiants aux soins palliatifs. Tanguy Châtel conclut : « Notre honneur, c’est de nous remettre en cause. »