Après la mort d’un proche, les familles se sentent souvent démunies. Elles ont besoin de parler, de faire mémoire et d’avancer dans la vie malgré ce vide. Les établissements qui ont suivi le défunt durant ses derniers jours peuvent accompagner ce long travail du deuil.
« Nous allons jusqu’au bout du compagnonnage en proposant de rester à l’écoute des proches d’une personne décédée dans nos services », explique Pascale Poulain, responsable adjointe des bénévoles de la maison Jeanne Garnier à Paris. « C’est important de leur tenir la main, de ne pas les laisser dans la rue au pied du cimetière. Ils peuvent être accompagnés dans les réalités de la vie qu’ils ont à affronter après cette épreuve. » Depuis quelques années, l’établissement dispose d’un Pôle deuil animé par une équipe de cinq à six bénévoles chevronnés : « Il faut un peu d’expérience pour assurer ce suivi. »
La question du deuil intéresse tous les établissements de la Fédération des dames du calvaire, à cause de leur familiarité avec la mort, notamment dans les services de soins palliatifs. « Quand commence le deuil ? », interroge Dominique Desmier, cadre de santé de la maison Marie Galène de Bordeaux. « Nous essayons d’aborder le sujet avec les familles quand le patient entre dans une phase vraiment terminale. Au cours d’un des nombreux entretiens que nous avons avec elles, nous les prévenons du temps qui reste et qu’il faut investir. Nous commençons à parler de l’organisation des obsèques, des vêtements que la personne souhaiterait porter, des directives particulières par rapport à ses convictions spirituelles, etc. Ces échanges ne sont pas possibles pour tout le monde mais ils permettent d’envisager le moment de la séparation. Cela fait partie des phases du deuil. »
Quand le décès survient, les équipes accompagnent les familles jusqu’au départ du défunt. À l’hôpital de Fourvière, un centre de gérontologie à Lyon, Danielle Roux explique la procédure : « Il y a un entretien avec le cadre de santé, le médecin ou d’autres personnes. Nous remettons aux proches un dossier qui donne des informations sur les démarches à suivre. Le corps peut être présenté, à la demande, au funérarium mais de nombreuses personnes ont recours à des chambres funéraires extérieures car nous n’avons pas de personnel dédié à ce service. » À Bordeaux, la maison de santé Marie Galène a la chance de bénéficier de salons funéraires dans la continuité du service : « C’est très apprécié », souligne Dominique Desmer. « Les familles peuvent passer nous dire un petit mot. Il n’y a pas de rupture. La mise en bière peut se faire ici. La séparation s’effectue de façon progressive avec le service.»
Pour la suite, les pratiques divergent en fonction des établissements : « Quelques suivis post décès sont assurés par la psychologue pour des cas particuliers », affirme Danielle Roux, pour Lyon. « Mais nous n’avons pas d’organisation particulière dès lors que le défunt a quitté l’hôpital. » À la clinique Sainte-Élisabeth de Marseille, des bénévoles prennent le relais pour accompagner cette nouvelle étape de vie : « L’aumônerie invite par courrier les familles à une messe pour leurs défunts à un rythme trimestriel », explique Marie-Lyse Meunier, responsable des bénévoles. « À cette occasion, elle leur propose une écoute personnalisée avec une équipe de quatre personnes. Elle les convie aussi à des rencontres, comme des sorties ou des parcours de type Alpha. Les proches préfèrent souvent ce genre de proposition qui leur permet de vivre des moments de fraternité après l’épreuve. » En complément, l’association JALMAV offre un accompagnement personnalisé aux personnes endeuillées qui le souhaitent grâce à cinq bénévoles : « Un groupe de parole est à l’essai. »
Le Pôle deuil de la maison médicale Jeanne Garnier de Paris a développé un large panel de propositions. Tous les trois mois, une messe est célébrée en mémoire des personnes décédées durant le trimestre précédent : « C’est le bon moment, car cela laisse passer un peu de temps », souligne Pascale Poulain. « Les familles peuvent déposer un lumignon en nommant les personnes qu’elles ont perdues. Ce geste permet de toucher tout le monde, pas seulement les catholiques. » L’apéritif qui suit donne à chacun l’occasion de parler : « On voit que les derniers moments ont une importance capitale. Les proches racontent comment cela s’est passé, qui était là, ce que la personne a dit… Pour bien faire son deuil, il faut commencer à s’en détacher tout doucement. »
Les bénévoles organisent également un « café deuil » trimestriel : « L’expression a suscité des débats car quelques uns la trouvaient trop violente. Mais nous avons pensé que c’est en nommant la réalité que nous pouvons aller au cœur de ce qui habite les personnes. » Entre 18h30 et 20h, ce rendez-vous ne nécessite aucune inscription : « Certains viennent et s’expriment beaucoup, d’autres ont juste besoin d’entendre, d’autres ne s’en sentent pas la force. C’est souvent très douloureux pour eux de revenir ici. » Les personnes qui le souhaitent peuvent bénéficier d’entretiens individuels : « Nous écoutons les familles tout simplement. On s’aperçoit que ce travail d’accompagnement est le même que celui proposé dans nos services. Le lien de confiance est déjà établi. Les bénévoles sont formés, notamment grâce aux conseils de l’association JALMAV qui possède une grande expérience dans ce domaine. » Quand un deuil s’avère pathologique, les écoutants orientent les personnes vers un professionnel : « Ils connaissent les limites de leur accompagnement. »
À Bordeaux, l’arrivée récente d’une nouvelle psychologue entraine des changements : « Elle a questionné notre pratique », se réjouit Dominique Desmier. « Jusqu’à présent, les soignants indiquaient aux proches que le service se tenait à leur disposition s’ils souhaitaient revenir. Très peu d’endeuillés saisissaient cette occasion de parler. Maintenant, nous envoyons un petit mot aux familles pour lesquelles nous pensons que cela pourrait être utile. Lors de notre réunion du jeudi, nous prenons cinq minutes pour revoir les décès de la semaine et choisir à qui nous adresserons cette invitation à rencontrer la psychologue. » L’équipe a donc identifié un besoin. Elle va évaluer ce dispositif dans quelques mois afin de l’adapter si nécessaire : « La psychologue suit en priorité les patients vivants. Il ne faut pas qu’elle soit débordée ! Nous avons aussi une pénurie de bénévoles. »
Autre préoccupation. Comment contacter toutes les personnes qui pourraient avoir besoin de ce soutien pour traverser le temps du deuil ? « Nous utilisons les coordonnées laissées dans les dossiers des patients mais ce fichier ne nous permet pas de toucher l’ensemble d’une famille », reconnaît Pascale Poulain. Or, chacun vit son deuil d’une façon différente, y compris dans une même fratrie. Il faut donc rayonner largement : « Nous laissons trainer de petits documents d’information dans le service. » À Marseille, Marie-Lyse Meunier estime que « le médecin qui connait les familles est un précieux relais pour faire connaître ces propositions ». Ensuite, il n’y a pas de règle : « Certaines personnes reviennent au bout de trois semaines, d’autres surgissent après un an. Quand quelque chose n’est pas bien vécu, le temps n’arrange rien. L’expérience prouve qu’il faut des formules souples et libres. »
Bénévoles et professionnels travaillent en réseau, toujours ouverts à de nouvelles réflexions. Ils n’hésitent pas à orienter vers d’autres structures ceux qui en ont besoin. À Bordeaux, l’association « La petite fille aux allumettes » prend par exemple en charge les problématiques spécifiques des enfants endeuillés. « Nous accompagnons une quarantaine de personnes par an », conclue Pascale Poulain. « Parfois, le seul fait d’entendre que cette possibilité existe suffit à rassurer les gens. Ils savent que nous ne les laisserons pas tomber. »